By Kristy ROMAIN
Depuis plusieurs années, les luttes décoloniales sont à nouveau sur le devant de la scène. Le développement des réseaux sociaux y est pour beaucoup : pouvoir lire les revendications de militant-es à travers des théories politiques simplifiées en une centaine de caractères a rendu la décolonisation en tant que discipline accessible pour beaucoup. Principalement, c’est le concept d’intersectionnalité, créé par des femmes noires afroféministes, qui a fait comprendre à un grand nombre que le racisme n’est pas la simple « haine » de qui est « différent » mais bel et bien une structure sociale et institutionnelle qui s’est développé à partir des colonialismes. Ici, on vise le colonialisme historique et la hiérarchisation montée de toute pièce pour le justifier.
Puisque la notion de race à cette époque est biologique, la science et par conséquent la santé sont dès lors imprégnées de cette idéologie raciste. En ce sens, il est donc indéniable que la santé sexuelle et la santé reproductive aient non seulement été construites sur des fondamentaux racistes mais se soient aussi développées sur le dos des personnes racisées.
On pense ainsi aux spéculums, outil médical qui a révolutionné la gynécologie et sauvé de nombreuses vies. On doit sa conception au « père de la gynécologie américaine », James Marion Sims, en raison de sa mise au point d’un traitement des fistules obstétricales. Pour cela, il a expérimenté ses méthodes sur des femmes noires esclavagisées, dont 30 fois sans anesthésie sur une femme nommée Anarcha. En effet,selon l’idéologie de l’époque, les personnes noires ne ressentaient pas la souffrance. L’idée que la douleur est inconnue des personnes noires et des personnes racisées au sens large est toujours très présente aujourd’hui, à tel point que cela a un nom : le syndrome méditerranéen.
Si ce syndrome est difficilement évalué en Europe, où les statistiques raciales sont majoritairement interdites, ce n’est pas le cas aux Etats-Unis où on a pu quantifier le phénomène. En 2016, une étude portant sur des étudiant.es en médecine a établi que 40 % des futur-es médecins sont convaincus que les personnes noires sont moins susceptibles d’éprouver de la douleur, et en 2012, une autre étude a évalué que 22% du personnel médical prescrit moins d’anti-douleurs au patient.es noir.es qu’au patient.es blanc.hes. Encore en 2019, une étude a mis en évidence que les médecins identifient plus facilement la douleur sur des visages de personnes blanches que des visages de personnes noires.
En terme de santé sexuelle et reproductive, les conséquences obstétricales sont dramatiques pour les femmes noires, qui ont 3 à 4 fois plus de chances de mourir que les femmes blanches suite à une grossesse en raison de l’ignorance délibérée ou non des médecins envers leur souffrance et leur vulnérabilité. L’hypersexualisation des femmes racisées et a fortiori des femmes noires, les rend également plus susceptibles d’être culpabilisées vis-à-vis de leur vie sexuelle, ce qui ne facilite pas l’accès aux services de planification familiale.
En effet, les personnes racisées en général sont vues comme sexuellement débridées, souvent peu éduquées et précaires ce qui visiblement justifieraient que les DSSR avancent pour elleux mais sans leur contribution. Ainsi, à mesure que le discours du « nous sommes trop nombreux sur la planète » ou « faire trop d’enfants est égoïste » avance, le poids pesant sur les femmes racisées pour contrôler leur reproduction augmente.
Il est vrai que les pays occidentaux ont un taux de fécondité relativement bas en comparaison aux pays du Sud global. Ce propos vise de fait directement les femmes racisées, tenues coupables de l’anéantissement des ressources naturelles de la planète en raison de leur fécondité perçue comme incontrôlable. Cette idéologie est reprise et banalisée très largement au sein même des plus hautes instances internationales comme l’ONU. Or, il est prouvé que les pays du sud global consomment le moins et polluent le moins. Au contraire, ce sont les pays du Nord qui surconsomment et surpolluent malgré leur infériorité numérique. Plus encore, de nombreuses communautés du Sud consomment depuis des siècles de manière biologique et durable, alors que ces méthodes avaient été sciemment abandonnées en Occident pour privilégier la surconsommation de masse. Et pourtant, on imagine mal les pays du Sud avoir l’opportunité de créer de multiples ONGs dans les pays du Nord pour leur apprendre à bien consommer. En revanche, de nombreuses ONGs du Nord sont présentes dans le Sud pour s’immiscer dans l’intimité des personnes et leur apprendre à contrôler leur reproduction.
En dépit des décolonisations, l’hégémonie des anciens empires coloniaux en charge de contrôler et réguler les populations colonisées n’a pas disparu, elle a seulement revêtu une nouvelle apparence « humanitaire ». De la même manière, sous l’appellation DSSR se cachent des dynamiques colonialistes à peine voilées dont la majorité privilégiée peine à se défaire car elle parvient difficilement à les admettre.
Décoloniser les DSSR, c’est précisément ça : changer la dynamique des rapports de domination, s’interroger sur ce qui constitue le standard, contextualiser les normes. Les DSSR sont un terrain très propice à l’exercice puisque le champ de la reproduction touche à la santé, aux rapports de genre, de classe, de race, à la production du travail, …
En s’appuyant de ces ressources, l’objectif est de pouvoir nourrir des réflexions qui déplacent le regard vers les communautés racisées et non les communautés occidentales. En effet, décoloniser les DSSR revient aussi à faire un travail complexe mais essentiel sur les communautés racisées par les communautés racisées. S’il est avéré que le Nord a historiquement anéanti les populations du Sud global par les génocides, l’exploitation, et les violences physiques et morales, cela ne doit pas nous empêcher pour autant de réfléchir à la construction de notre propre futur. Il s’agit donc de pouvoir exercer un devoir de mémoire et un devoir de vigilance face aux formes contemporaines de colonisation, tout en arrivant à faire évoluer une culture qui est la nôtre dans un souci d’épanouissement.
Repenser comment et quand les personnes racisées peuvent créer une famille est aussi un enjeu. Par exemple en France dans le cadre d’un parcours de PMA, très peu d’ovocytes de femmes noires sont disponibles. Le don d’ovocytes pour les femmes noires est marginalisé en raison d’un pays qui « ne voit pas les couleurs » et qui donc ne communique pas sur le sujet, mais aussi des communautés noires qui privilégient fortement la conception dite naturelle par tradition et par méfiance (justifiée) vis-à-vis de la médecine occidentale.
Ainsi, il est indispensable d’éduquer les personnes non-racisées face aux massacres causés par leurs ancêtres et à leur propre responsabilité dans le maintien actuel du racisme. Toutefois, pour aboutir, la décolonisation des DSSR doit aussi et surtout être un travail intra-communautaire pour une déconstruction de ce que constituent les DSSR pour les personnes racisées. C’est par l’émergence et la solidification de ces réflexions à grande échelle que les DSSR pourront parvenir à décentraliser la perspective blanche, occidentale et hétéronormative pour enfin établir un modèle flexible et adaptable à l’ensemble de l’humanité.
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